samedi 11 août 2012

Le treizième mois

Voilà le dernier article de mon année de voyages. Celui qui relate mon treizième et dernier mois de veinard asiatique : un itinéraire amical en Chine avec Guillaume et Youri (et Marion rejointe à Beijing).
Après quelques reproches sur l'absence d'anecdotes personnelles, j'ai essayé de jeter ici quelques observations sympatoches de voyage, en les accompagnant de photos bâclo-choisies.


Shanghai

En plus d'une belle teinture dorée et de chemises léopard cousues sur-mesure, on a profité de la street food, des brocantes, du marché aux animaux ou encore du musée discret des affiches de propagande. Après un resto avec Ludovic Chaker, candidat déchu néanmoins cool aux législatives, on s'est rendus au foot-du-samedi, avant d'en repartir humiliés par une alliance chintoko-caucasienne. Bien sûr, j'ai fait croquer les copains dans une discothèque expato-deluxe pour bien 30 secondes, parce que quand même, c'est Shanghai ma gueule.






Xi'an

L'armée enterrée de terre-cuite et la grande pagode nous ont moins enchantés que le muslim quarter, ses délicieuses brochettes d'agneau, et sa grande mosquée visitée en dégustant un kebab. Entre la découverte d'un village archéolo-mis en scène et un coucher de soleil sur les immenses remparts de la ville, Guillaume s'est fait faire une caricature des plus réussies.







Huashan

Grande montagne pélerino-religieuse de Chine, on a découvert Huashan de nuit avec deux Américains américains : un aficionado d'armes à feu qui parle très très fort et très longtemps, à la démarche et l'attitude comiques malgré lui ; et un mormon liberal, gendre idéal parti faire de la chirurgie humanitaire en Mongolie et passionné d'escalade extrême. Au terme des chemins escarpés parsemés de cadenas porte-bonheur (et surtout embouteillés de chinois qui subissaient nos coups de lampe frontale dans les yeux), on est parvenus aux temples trônant sur les majestueux rochers dominant les nuages, juste à temps pour un lever de soleil magnifique.

(Pas de photo car notre mormon préféré n'a finalement pas eu pas le sens de la camaraderie virtuelle)


Désert de Badain Jaran

A l'extrême Ouest de la Mongolie intérieure résistant tant bien que mal à l'envahisseur culturel, on a profité de l'accueil des sédentariso-richards à moto Marley-Davidson et fourniture maison en acajou, nacre et platine ; puis des sédentariso-paysans dans une ferme bordant un oasis en plein désert. Les rubans rouges s'agitant autour des rétroviseurs nous protégeaient des fantômes mais pas de la terrible nausée due à la conduite techno-furax du 4x4 dans les dunes.
Quelques arcs-en-ciel, troupeaux de moutons et de chameaux plus tard, on se retrouvait bloqués 2 jours à Jinchang, ville industriello-dégueulasse du Gansu, interdits d'hotels car étrangers, à faire d'ensoleillées rencontres du quartier-de-la-gare avant de s'infliger 18h de train sur siège dur sur fond de slurpages de nouilles, raclages de gorge et voisins sénilo-loquaces.













Hohhot

Malgré quelques rencontres vagabondistes et trois bières derrière des matchs de l'Euro adorés des chinois, on retrouve les classiques sino-voyagistes : des vrais-faux temples, des brochettes épicées et un beau musée propagandiste sur la Mongolie Intérieure, entre déplacements et sédentarisations « volontaires » de populations nomades désireuses de contribuer à la Grandeur du pays, et colonisation chaleureuse des Han venus apporter le progrès.




Entre le Shanxi et la Mongolie intérieure, nous sommes passés dans des régions rurales oubliées, où des villages de maisons troglodytiques et de terre cuite en ruine côtoient une portion de la Grande Muraille datant de la dynastie Ming.







Steppes mongoles

Au milieu des prairies mongolo-chintoks, des quartiers fantômes construits pour la sédentarisation forcée/accompagnée ont remplacé les yourtes qui n'ont désormais leur place que pour les touristes. La famille d'anciens nomades amoureux des chevaux qui nous accueillait nous a vite mis au rythme de la vie de la ferme, entre lait de vache frais, bons repas au coin du poêle et patriarche ronfleur. On a ceci-dit écourté le séjour en raison des chevaux mongols atteints de nanisme, nos fesses se retrouvant en lambeaux malgré le plaisir de voir Youri subir les humeurs du cheval (ou encore et plutôt celui de galoper sur des steppes paraissant par moment infinies).









Pingyao

Les étapes les plus fatigantes du voyage étant derrière nous, on a tranquillement profité de cette « miraculée » ceinturée de remparts, bien peinards à alterner visites, rencontres upper-générationnelles et improbables boutiques authentiques de tam-tams africains.






Beijing

Tout juste arrivés, nous voilà à Tian'an'men, sous le regard paternel de Mao, des flics en civil et des caméras mal dissimulées. Au palais d'été, furieux sur notre pédalo, on abordait, soumettait et attachait les couples et familles vicôs à notre vaisseau. Quelques négociations féroces dans les marchés, et une flopée de chemises-dragon plus tard, on rattrapait mal notre sommeil dans notre campement transpirant improvisé.







Dandong

Il aura fallu 14h de train assis à l'aller puis 22h en couchettes ronflantes au retour pour titiller la frontière nord-coréenne. Entre un pont bombardé toujours coupé en deux et le pont de l'amitié (où passe 70% du commerce extérieur de l' « ami »), des touristes s'approchent en bateau des autochtones coréistes. Faussement apeurés par la frontière et les quelques militaires gentils qui disent « coucou », on observe lourdement les voisins et leurs villages artificiels du haut de la grande muraille rampant sur la Montagne du Tigre. Le musée de « l'Aide à la Corée contre l'Agression américaine » est délicieux, tout comme la soupe de chien-mignon et les grillades coréennes.








jeudi 14 juin 2012

Dans la peau d'un requin de la finance


Pour comprendre facilement l'objet de mon stage, prenons Didier.
Didier vient de décrocher un super poste dans une multinationale implantée à Shanghai. Il va donc s'y installer avec sa femme et ses enfants. A peine arrivé, il reçoit déjà des appels et des emails de la part d'inconnus. Tous l'appellent par son prénom, arborent un ton amical, et lui expliquent qu'ils lui seront indispensables s'il veut bien gérer son argent. Étant donné que Didier touchera un salaire « occidental », dans un pays où le coût de la vie est moindre, il disposera d'un surplus de fonds chaque mois. Et cela quand bien même il adoptera un rythme de vie loungy-luxurious. C'est pour ça qu'autant de sympatico-inconnus l'appellent : ils lui proposent de préparer les futures études de ses enfants, sa retraite, ou encore l'achat prochain d'une grande maison de vacances à Palavas. Ces types là sont des IFA, Independant Financial Advisers.

Open-space, photocopieuse et mime de signer un contrat important

Vous l'aurez compris, le job de ces pseudo-conseillers financiers consiste moins à conseiller qu'à prospecter, convaincre et vendre leurs services. D'ailleurs ces services, bien qu'enrobés de responsablo-philanthropisme, se résument à placer l'argent économisé par le client. Hors de question ceci dit de s'emmerder à gérer ce fric eux-même. Non, pour pousser la fainéantise/imposture jusqu'au bout, il vaut mieux se contenter de proposer -et non pas de s'occuper véritablement- des investissements. Les IFA passent par des compagnies d'assurance vie ; compagnies qui proposent de créer des portefeuilles de fonds ; fonds qui sont gérés par des grandes banques d'investissement. En d'autres termes, l'homme charmant qui appelle Didier par son prénom a l'air plus malin qu'intellectualo-messianique, et il se pose comme un intermédiaire inutile grignotant l'argent des autres.

Cette caricature de mon stage doit cependant être nuancée. Cela reste un vrai métier, dans lequel on se soucie tout de même des investissements réalisés, même s'ils sont fait par d'autres et pour d'autres. Et en théorie, le placement financier rapporte au client, en dépit de tous les intermédiaires entre lui et son argent. Dans ce cas, tout le monde est content. Mais si ça capote, la chaîne de l'investissement décrite ci-dessus conserve un rouage intact : l'IFA. Il n'a en effet pris aucun risque. D'un côté, c'est l'argent du client qui s'évapore -lui touche toujours sa commission ; et de l'autre, c'est le manager de fonds de la grande banque qui se voit blâmer/virer comme un malpropre.

Totalement décontract, mon boss a même retiré sa cravate

Cet emploi est particulier/peinard/rusé, et même s'il est relaté au monde de la finance que je voulais initialement découvrir, il n'en illustre pas le caractère stressant/challenging/intellectuel. Là, peu importe les résultats. Le networking importe plus que le flair économique. Les intérêts professionnels se dissimulent sous l’apparat social. Chaque nouvelle rencontre représente un potentiel client. Et il si l'on va au bar, au foot ou au parc, on ne reste pas souvent seul : c'est marrant de partager des bons moments, mais c'est surtout profitable d'accumuler les cartes professionnelles des nouveaux copains.

Je me rappelle de mon tout premier jour de travail à Virlanie. Le tout premier contact avec les enfants, dans la maison de Masaya où je m'installai peu de temps après. Je m'y rendais pour projeter un documentaire qui, en plus d'élargir l'esprit et la conscience du monde des enfants, me donna une grande leçon : mec, ça fait 1h que tu commentes en anglais, ils comprennent rien, c'est le chaos, et en plus tu transpires méga. Ce qui importe ici, c'est l'objet du documentaire et la grande idée qui en ressortait : dans la jungle, la survie se base sur la compétition. On retrouve l'idée d'hostilité qui est communément attribuée à l'univers de la finance. Car chez les IFA aussi, c'est la jungle. On se tire la bourre dans la même bulle d'expats. Les boites foisonnent, et les procédés de prospections deviennent de plus en plus lourds. Auprès des clients, on se tire dans les pattes pour se démarquer des 12 personnes qui ont appelé avant nous.


Mais ce qui surprend, c'est la compétition qui prend place au sein même de l'entreprise. Puisque la rémunération dépend de la performance, la structure est horizontale : des équipes s'affrontent sur le même marché, proposant la même offre, et surtout, sous couvert du même nom, du même positionnement et de la même approche. L'aigle furieux du logo de l'entreprise prend tout son sens. Un tableau rempli de chiffre repose au fond de l'open-space pour compter les points, et le collègue se mue en rival. Si l'ambiance n'est pas tout a fait mauvaise, de la méfiance se dégage en dépit des discussions footballistiques et clubbing-stylées.


Voilà pour mon stage. En ce qui concerne la finance, je parlerai peut-être des ISR plus tard : les investissements socialement responsables. Si l'on aime les mots d'esprit, on pourrait préférer l'acronyme impostures socialement révoltantes.

jeudi 31 mai 2012

Qu'est ce qu'un Chinois ? (2/2)


Râ, le ciel se couvre. Quel dommage ! on va devoir abréger notre sortie (et je vais torcher cet article).

Je t'aurais parlé de la modernité incarnée par Shanghai, qui ne contredit pas forcément l'aspect traditionnalo-culturel chinois. Tiens regarde, on est encerclés par des musées d'art contemporain comme d'art antico-historique. Et le musée d'Urban Planning se situe au beau milieu d'un parc et de sa nature fabriquée, entre un bar branché et un lac bordé de saules pleureurs. Et pour autant, ce parc garde sa fonction éternelle d'espace d'expression de loisirs Tai-Chistes ou cerf-volantistes.



J'aurais aussi actionné tes angoisses profondes en te mettant en garde. Attention à ne pas croiser des enfants ouïgours. Car dans l'imaginaire urbain chinois, cette minorité ethnique jouit d'une réputation très enviable. Si on devait faire une comparaison franco-centrée, ça serait un mélange des pires misperceptions idéologisées stigmatisatrices que l'on inflige aux musulmans et aux roms. Mon amie chinoise t'expliquerait rapidement qu'ils sont musulmans donc dangereux, et qu'ils bénéficient d'un réseau criminel d'enfants voleurs très développé dans les grandes villes. Je peux te dire que si Oliver Twist était musulman, on lui aurait pas souhaité de rédemption à ce merdeux.



Mais ces visions biaisées sont conditionnés par les discours calculés de l'Etat. Puisque l'on compte officiellement 56 ethnies sur le territoire chinois, il a fallu batailler pour faire croire en une seule nationalité unique. Alors Mao lança une vague de colonisation cette fois culturelle dans ces provinces variées. Sa politique de décentralisation lui permit de développer grandement le pays en renvoyant les cadres dans ces régions reculées. Et aujourd'hui encore, on trouve même majoritairement des Han (ethnie principale de Chinois lambdas) dans les provinces dites autonomes. La part d'identité originelle s'estompe avec sa défaite linguistique et culturelle. Seulement, le Chinois-spectateur qui ne vit pas ce viol identitaire entend uniquement les discours officiels via les media du Parti. Il l'interprète donc comme une mission civilisatro-développementale qui n'hésite pas, par exemple, à braver courageusement les montagnes himalayennes pour apporter aide et soutien aux Tibétains.

Voilà, cet article a été lâchement expédié mais j'essaierai d'en faire un mieux sur les champions de la finance à calvitie.  

jeudi 12 avril 2012

Qu'est ce qu'un Chinois ? (1/2)

Fini de faire la couille molle derrière ton écran d'ordinateur, aujourd'hui nous allons à l'aventure. 
Il est temps de dépasser les consensus populaires sur l'identité chinoise. Au diable les sushis et les ninjas, partons pour 人民廣場, la Place du Peuple. Avec la victoire communiste et l'instauration de la République Populaire, cet hippodrome au centre de Shanghai a du muter : paris et courses de chevaux sont devenus illégaux. C'est aujourd'hui un espace riche en indices de compréhension culturelle.

Un  plan indéchiffrable de Shanghai


Bon, pas de bol puisque j'ai décidé qu'on y allait en métro. Et même s'il est très moderne, plus grand réseau du monde, télés partout gnagnagna, c'est la jungle mon vieux. Et dans la jungle, survivre se fait au dépens des autres. Les rapports de force sournois remplacent l'indifférence du métro parisien. L’égoïsme s'active : tu seras doublé, poussé, tiré, enfoncé du coude et éternué dans le cou. Cependant, comme tout bon vagabond stylé tu dois te poser cette question : et si c'était toi qui étais fermé d'esprit ? Et si, sortant tout juste de ton cocon qui sent le saucisson, tu interprétais mal l'expression d'une culture, de valeurs et de critères différents des tiens ? A cette remise en question, je te répondrais : tête de nœud, se faire éternuer dans le cou est universellement désagréable. Ne te sens donc pas coupable de concevoir une caractéristique individualiste généralisée, particulièrement dans cette ville-temple de la réussite personnelle. Attention tout de même aux théories racistes des expats qui imaginent que 20% des Terriens s'évertue à t'éternuer intentionnellement dessus.


En sortant du métro, n'hésite pas à t'approcher des vendeurs improvisés dans la station. Ce viagra Louis Vuitton ira bien avec le slip Chanel que tu avais négocié au Fake Market. Pas de panique, le même gouvernement qui fait la publicité d'une vraie fausse lutte contre la contrefaçon sait que c'est devenu une industrie qui s'exporte et qui pèse 8% de son PIB et 5 millions d'emplois. Il faut t'y faire, distinguer le vrai d'un faux devient sacrément compliqué. Tiens, regarde ta collection de DVDs édition collector à 1 euro. Mais garde en tête que c'est moins rigolo quand ça concerne les médicaments, les pesticides ou autres produits chimiques.
Effet 180h garanti
Ah ! l'air libre et le soleil gris, bienvenue sur la Place du Peuple. Accroche toi bien à moi, on se dirige vers cette foule d'hommes et femmes mûrs. Ils discutent par petit paquets, se baladent en scrutant des milliers d'affiches mystérieuses ou attendent leur pancarte à la main. On ne comprend pas ce qui est écrit en chinois, mais on arrive à interpréter les chiffres : année de naissance, taille et salaire. Vu les sourires séduisants des photos qui accompagnent ces petites pancartes, facile de deviner leur utilité. Tu te trouves bel et bien en plein milieu d'une foire matrimoniale hebdomadaire !


Cet interventionnisme parental s'explique par une culture familiale verticale : autorité confucéenne des parents, puis retour de bâton des enfants avec le traditionnel foyer multi-générationnel. Pimentons le tout avec la politique de l'enfant unique et le chérissement de l'« enfant roi » qui a suivi. Pour vulgariser ces lois pleines d'exceptions, disons que pour avoir deux enfants sans pénalité, il faut : habiter une zone rurale, faire partie d'une minorité nationale, être un couple d'enfants uniques, ou avoir eu un premier enfant handicapé ou de sexe féminin (rôô non, épargne moi ton commentaire féministe). Bref, ça n'est pas l'objet de l'article, mais notons qu'en plus de modifier la structure familiale, la politique de l'enfant unique a modifié la structure paritaire nationale : il naît en moyenne 120 garçons pour 100 filles ! Théoriquement interdit, l'avortement après examen échographique concluant est monnaie courante dans les régions rurales. Il y est même plus facile de prostituer les filles plutôt que de leur apprendre à labourer la terre (cette phrase est de mauvais goût mais s'inspire d'une logique réelle).
Autre facteur explicatif de ce rassemblement malsain : le Chinois travaille dur et relègue sa vie privée et amoureuse au second plan. Tu as quand même remarqué que ses parents ne perdent pas la boule non plus puisque le salaire est un critère primordial de sélection.

Attention, voilà une anecdote personnelle mais tout à fait ludique sur le quotidien professionnel chinois :
J'ai eu la précieuse occasion de découvrir le monde des salariés les plus haïs de la planète. Déguisé en provencal, je devais répéter « Je suis le marchand de senteurs de L'Occitane » en chinois dans un mall de Nankin. Pour que tu imagines facilement, visualise un Chinois avec un chapeau pointu aux Galeries Lafayette qui te baragouinerait “je suis le marsouin de choux-fleurs du Croque-mitaine”. Ce qui est intéressant ici, c'est que j'ai vécu cet enfer plongé dans le sureffectif lambda chinois. Tous les salariés du mall s'alignaient devant leur stand en répétant mécaniquement leurs phrases d'accroche, ce qui est troublant lorsqu'il n'y a aucun client dans l'allée. Pour être honnête, ma situation était luxueuse à côté de la leur : leurs 60h de travail hebdomadaire se rémunèrent au prix d'une crème au beurre de karité.


Mais c'est pas terminé, on doit encore se balader dans cette nature fabriquée et parsemée de vieux yogistes, de musées ou encore de drôles de conceptions religieuses et ethniques. Je finis cet article bientôt !