mercredi 17 août 2011

Avez-vous déjà vu des enfants des rues ?

C'est pas fastoche de parler des enfants des rues. C'est un phénomène qui n'apparait pas de façon simple et homogène. Et il m'est d'autant plus difficile de le décrire tant les expériences et les rapports que j'ai été amené à avoir avec eux sont différents. C'est donc par le biais de plusieurs angles de vue candides et mignons que je vais essayer d'en parler, puisque j'assume à la fois les fonctions de simple habitant de Manille et de touriste dans des quartiers populaires, ce qui peut vous paraître exceptionnel. Ajoutons aussi mon statut de volontaire parfois itinérant et c'est parti mon kiki.


Au premier abord, les enfants des rues c'est des minus plutôt crades qui mendient dans la rue. Ils sont souvent pieds-nus, avec des maladies de peau visibles, et ils insistent particulièrement sur les blancs comme moi. Certains philanthropes/idiots donnent de l'argent, d'autres n'accordent qu'un sourire navré, et le plus souvent, les passants feignent l'ignorance et passent leur chemin. Notons tout de même qu'il est difficile de jouer l'indifférence lorsque, entre deux bouchées d'un délicieux Quarter Pounder, un enfant plaque son zgeg contre la vitre du McDo. Mais comment exiger de la pudeur de ceux qui vivent là, sur le trottoir ? Après tout, ils sont chez eux. Alors dans les coins où vivent des enfants des rues, les passants deviennent des colocataires, témoins de leur toilette, de leurs envies pressantes ou de leur sommeil. Et parfois c'est une méga-coloc-qui-part-en-burne, et c'est des familles entières que l'on retrouve sur des bouts de cartons.



Poussons ces ressentis un tantinet et voyageons de mon quartier jusqu'à Divisoria. C'est un coin de Manille très connu. On y trouve des milliards de minuscules boutiques, chaotiquement installées dans la rue ou regroupées dans d'immenses malls touffus. C'est un peu comme le paradis des chineurs, sauf que les occasions en or sont planquées dans une foule, une chaleur et une odeur infâmes. En tant que touriste, si on se retrousse un peu les manches, c'est très coolôs.
En tant que volontaire, même si on se retrousse les manches, c'est pas supra coolôs. J'y suis allé un samedi après-midi avec la Mobile-Unit. C'est un programme de Virlanie qui se déplace dans des coins très pauvres pour y dispenser des cours en même temps que des premiers soins médicaux, des suivis psychologiques et des distributions de nourriture. A la tête du programme, et aux côtés de 5 philippins, on trouve Marie. Cette grosse incruste est une prof française arrivée il y a 12 ans pour une mission qui n'aurait du durer qu'un an.

A peine arrivés là-bas, Marie et moi nous sommes baladés pour récupérer les enfants susceptibles de participer à nos activités. Rien de bien zinzin : je connaissais les rues qu'on empruntait. Mais je reconnaissais pas grand chose. Ni les gens parfois nus qui dormaient sur la place centrale, ni les dizaines d'enfants disséminés sur les trottoirs. Tous étaient ravis de retrouver Ate Marie (« Ate » est l'équivalent féminin de « Kuya », c'est une expression commune qui signifie littéralement « grande soeur »). Et c'est bourrés de respect qu'ils nous saluaient avec le traditionnel Mano Po, en portant notre main à leur front. A moitié en chiant dans mon froc, j'ai vu des lascars d'une vingtaine d'années s'approcher de Marie pour la saluer de la même façon, avec la même bienveillance depuis qu'ils sont petits.
Certains des enfants de ces familles vont tout de même à l'école (pour de vrai) mais le samedi il n'y a pas école : on s'est donc retrouvés avec une soixantaine d'enfants surexcités, agrippés à chacun de nos membres comme des morpions.

Et vint le chaos. 
D'abord par quelques exercices physiques, témoins malins de leur forme physique parfois diminuée par les maladies, les coups ou les solvants. Puis par les activités proposées à chaque groupe : lecture, anglais, maths. Et j'avais pas autant souffert avec des tables de multiplication depuis le CE1. Ils sont intenables, aux niveaux scolaires aussi incernables qu'éclatés, et mes maigres connaissances en Tagalog me donnaient la crédibilité d'un glaviot. Mais au-delà du semi-échec du prof de maths qui naît en moi, le constat ressemble à un phrase-clé optimiste d'un reportage M6, genre « Entre Paradis et Enfer, Laurent Delahousse est allé à la rencontre de ces corps négligés qui renferment un respect et un plaisir d'apprendre tout à fait exceptionnels ». Bien sûr, je n'ai vu que ceux qui sont venus. Donc je n'ai vu qu'une portion d'enfants des rues en relative bonne santé et désireuse de participer à des cours un samedi aprem. Mais bon. J'ai fini par jouer avec eux après un gros repas chaud, ravi de distribuer discreto-cruellement un million de tapes sur l'épaule opposée des plus naïfs déconneurs.



Non-suivis par des ONG dans leur famille, d'autres réussissent la prouesse d'avoir un peu moins de bol. C'est le cas de ceux qui se trouvent au RAC (Reception Action Center). C'est un endroit administré par la ville de Manille, un peu planqué en son cœur. On y place des gens ramassés dans la rue. Des relous qui rendent les trottoirs désagréables : des enfants, des familles ou encore des handicapés mentaux. Ils y sont enfermés temporairement, avec pour seul motif leur situation de sans-abri-du-tout. 

Activité au RAC
J'y suis allé un matin. Une activité encadrée par des volontaires de Virlanie se déroulait calmement dans une partie de la cour. De l'autre côté, il y avait les familles qui laissaient passer le temps, entassées sur des planches-de-bois/lits-superposés. Elles seront discrètement renvoyées très loin de Manille, et y reviendront si elles n'ont pas l'opportunité ni l'humilité de revenir décemment dans leur Province originaire.
Photo interdite trouvée sur le net
Les enfants dorment à l'étage du bâtiment principal. Juste au dessus des bureaux des employés apparemment peu préoccupés par leur sort. Ils étaient ravis de nous voir arriver et voyaient en Dominique, le président-fondateur de Virlanie, une potentielle porte de sortie sympatoche dont ils entendent souvent parler. Sur le coup, j'étais surpris par leur bonne humeur. Le reste m'a rattrapé une fois parti : eux n'en sont pas partis justement, ils dormiront tous à même le sol, entre quatre murs glauques et imbibés de pisse. Et alors qu'ils se réveilleront peut-être avec de nouveaux bleus, je me ferai un gros bol de Cookie Crisps.


En ce qui concerne le sort de ces enfants, c'est moins évident. S'ils ont toujours une famille, ailleurs dans Manille ou dans une autre Province, on essaie de les y renvoyer. Ils n'auront pas réussi à fuir leur foyer, ni à faire fortune dans la capitale pour y renvoyer de l'argent. Si c'est impossible des les réunifier, parce que leur famille ne peut/veut pas les assumer ou qu'ils n'en ont plus, ils sont un peu dans la merde. Beaucoup s'enfuient du RAC et finissent par en devenir des habitués. Certains vont en prison pour des délits parfois ridicules. D'autres finissent à Boystown, une mini-ville-orphelinat du Nord de Manille qui les accueille jusqu'à ce qu'ils s'en échappent ou deviennent adultes.

Enfin, une poignée des enfants du RAC arrive à Virlanie. Tous les minus de la Fondation ont donc plus ou moins traversé les stades cités ci-dessus. C'est censé être une situation transitoire pour les plus vulnérables, un lieu d'accueil un peu plus clean le temps qu'ils soient réunifiés avec leur famille. Mais parfois le temporaire dure : sans retour au foyer familial ni adoption possibles, ils finissent par grandir dans des maisons de Virlanie. Les handicapés y resteront probablement toute leur vie. Ce n'était donc pas le but initial, mais ces enfants se retrouvent par petites vingtaines dans des foyers présentant une structure familiale : papa, maman et tantes de substitution. Si leur situation se stabilise ici, ils vont à l'école et ont d'autres activités artistiques, sportives ou de soutien scolaire. Je suis le connard avec qui ils font des maths après l'école mais aussi le type sympax qui s'incruste parfois avec eux le week-end. Car les volontaires motivés peuvent montrer des films sur rétroprojecteur, les accompagner au foot, ou en amener certains à des sorties. Et inutile de dire que je le fais uniquement parce que j'en profite au moins autant qu'eux.



Marrade à Splash Island
                            
Fiesta au zoo