jeudi 14 juin 2012

Dans la peau d'un requin de la finance


Pour comprendre facilement l'objet de mon stage, prenons Didier.
Didier vient de décrocher un super poste dans une multinationale implantée à Shanghai. Il va donc s'y installer avec sa femme et ses enfants. A peine arrivé, il reçoit déjà des appels et des emails de la part d'inconnus. Tous l'appellent par son prénom, arborent un ton amical, et lui expliquent qu'ils lui seront indispensables s'il veut bien gérer son argent. Étant donné que Didier touchera un salaire « occidental », dans un pays où le coût de la vie est moindre, il disposera d'un surplus de fonds chaque mois. Et cela quand bien même il adoptera un rythme de vie loungy-luxurious. C'est pour ça qu'autant de sympatico-inconnus l'appellent : ils lui proposent de préparer les futures études de ses enfants, sa retraite, ou encore l'achat prochain d'une grande maison de vacances à Palavas. Ces types là sont des IFA, Independant Financial Advisers.

Open-space, photocopieuse et mime de signer un contrat important

Vous l'aurez compris, le job de ces pseudo-conseillers financiers consiste moins à conseiller qu'à prospecter, convaincre et vendre leurs services. D'ailleurs ces services, bien qu'enrobés de responsablo-philanthropisme, se résument à placer l'argent économisé par le client. Hors de question ceci dit de s'emmerder à gérer ce fric eux-même. Non, pour pousser la fainéantise/imposture jusqu'au bout, il vaut mieux se contenter de proposer -et non pas de s'occuper véritablement- des investissements. Les IFA passent par des compagnies d'assurance vie ; compagnies qui proposent de créer des portefeuilles de fonds ; fonds qui sont gérés par des grandes banques d'investissement. En d'autres termes, l'homme charmant qui appelle Didier par son prénom a l'air plus malin qu'intellectualo-messianique, et il se pose comme un intermédiaire inutile grignotant l'argent des autres.

Cette caricature de mon stage doit cependant être nuancée. Cela reste un vrai métier, dans lequel on se soucie tout de même des investissements réalisés, même s'ils sont fait par d'autres et pour d'autres. Et en théorie, le placement financier rapporte au client, en dépit de tous les intermédiaires entre lui et son argent. Dans ce cas, tout le monde est content. Mais si ça capote, la chaîne de l'investissement décrite ci-dessus conserve un rouage intact : l'IFA. Il n'a en effet pris aucun risque. D'un côté, c'est l'argent du client qui s'évapore -lui touche toujours sa commission ; et de l'autre, c'est le manager de fonds de la grande banque qui se voit blâmer/virer comme un malpropre.

Totalement décontract, mon boss a même retiré sa cravate

Cet emploi est particulier/peinard/rusé, et même s'il est relaté au monde de la finance que je voulais initialement découvrir, il n'en illustre pas le caractère stressant/challenging/intellectuel. Là, peu importe les résultats. Le networking importe plus que le flair économique. Les intérêts professionnels se dissimulent sous l’apparat social. Chaque nouvelle rencontre représente un potentiel client. Et il si l'on va au bar, au foot ou au parc, on ne reste pas souvent seul : c'est marrant de partager des bons moments, mais c'est surtout profitable d'accumuler les cartes professionnelles des nouveaux copains.

Je me rappelle de mon tout premier jour de travail à Virlanie. Le tout premier contact avec les enfants, dans la maison de Masaya où je m'installai peu de temps après. Je m'y rendais pour projeter un documentaire qui, en plus d'élargir l'esprit et la conscience du monde des enfants, me donna une grande leçon : mec, ça fait 1h que tu commentes en anglais, ils comprennent rien, c'est le chaos, et en plus tu transpires méga. Ce qui importe ici, c'est l'objet du documentaire et la grande idée qui en ressortait : dans la jungle, la survie se base sur la compétition. On retrouve l'idée d'hostilité qui est communément attribuée à l'univers de la finance. Car chez les IFA aussi, c'est la jungle. On se tire la bourre dans la même bulle d'expats. Les boites foisonnent, et les procédés de prospections deviennent de plus en plus lourds. Auprès des clients, on se tire dans les pattes pour se démarquer des 12 personnes qui ont appelé avant nous.


Mais ce qui surprend, c'est la compétition qui prend place au sein même de l'entreprise. Puisque la rémunération dépend de la performance, la structure est horizontale : des équipes s'affrontent sur le même marché, proposant la même offre, et surtout, sous couvert du même nom, du même positionnement et de la même approche. L'aigle furieux du logo de l'entreprise prend tout son sens. Un tableau rempli de chiffre repose au fond de l'open-space pour compter les points, et le collègue se mue en rival. Si l'ambiance n'est pas tout a fait mauvaise, de la méfiance se dégage en dépit des discussions footballistiques et clubbing-stylées.


Voilà pour mon stage. En ce qui concerne la finance, je parlerai peut-être des ISR plus tard : les investissements socialement responsables. Si l'on aime les mots d'esprit, on pourrait préférer l'acronyme impostures socialement révoltantes.

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