samedi 10 décembre 2011

Tapos na

Plus de 6 mois après mon arrivée à Manille, j'ai enfin obtenu mon visa de gredin pour la Chine et il est temps de me barrer comme un connard. Je ne ferai pas de bilan sur mon travail et mes relations avec les enfants ou encore sur l'immersion philippine. Ma pudeur m'interdit de m'approcher des clichés ringardo-naïfs moqués à mon arrivée, bien qu'ils m'apparaissent de plus en plus proches de la réalité.

Et puisque j'ai pas encore vraiment montré de photo ni parlé de voyage, je vais faire un peu des deux à la fois, chronologiquement et arbitrairement. C'est la plus petite des listes : celles des choses que j'ai eu le temps et l'occasion de voir.

Banaue
Trek au milieu de rizières en terrasses vieilles de 2000 ans entre volontaires, guidés par Ariette et ses guerres de machette.



Île de Marinduque
Voyage principalement transportationniste à l'improviste.



Île de Mindoro
Plongée, moto et prostitution-differentio-âgo-dermatologique.




Hot springs, Philippines
Récompense violente pour les enfants sages et studieux de Magellan.



Lac Taal, Philippines
Baignade dans un lac chaud qui se trouve à l'intérieur d'un cratère de volcan qui lui même se trouve dans un lac qui lui aussi se trouve dans le cratère d'un volcan, en vrai. Et balade touristo-hippique au milieu.




Palawan
Plongée, moto, village fantôme et fiesta digestive au paradis.



Bicol, Sud-Est de Luzon
Road-trip en moto sous des orages de billes de plomb, entre buffles, coqs, enfants, chats vivants et chats morts : volcan, absence de requins-baleines, et wakeboard.



Et deux dernières photo :
Au tout début, avec le staff de Magellan

A la toute fin, à ma soirée d'au revoir à Masaya

dimanche 27 novembre 2011

Vidéo - Un jour dans mon slip à Virlanie !

Ma mission à Virlanie est déjà derrière moi, et les vilains adieux avec les enfants qui la clôturent avec. Alors après avoir perdu mille trésors vidéos avec le vol de mon ordi, et mille autres avec la panne de mon appareil photo, je me suis quand même décidé à monter ce film.

On y voit un peu de Masaya, un peu des cours de maths et de typing que j'assumais à Magellan, et sur la fin une image incompréhensible qui n'est rien d'autre qu'une projection de dessin-animé-récompense du week-end. La musique peut vous paraître ignoble et c'est tout à fait légitime mais je l'ai choisie parce que c'est celle que les enfants chantaient et redemandaient inlassablement pendant toute la durée de mon séjour.



mercredi 2 novembre 2011

La maison du bonheur


Il y a trois semaines, j'en ai fini avec la fac. Et la douce période de soulagement et de bonheur manillais qui a suivi a coïncidé avec mon emménagement à Masaya Home. Après la maison de volontaires où j'ai vu se succéder une douzaines de colocs différents, c'est mon nouveau chez-moi jusqu'à la fin de ma mission, fin novembre. Je suis un veinard d'habiter là plutôt que dans une autre maison puisqu'en tagalog, Masaya signifie Heureux. Comme toutes les maisons d'enfants de Virlanie, on y trouve une organisation familiale philippine. Ma vie s'est comiquement adapté à ce nouvel environnement. Pour la décrire, je vais raconter le quotidien des enfants, mais ça ressemble aussi à une liste de choses étranges que je fais sans trop me poser de question.

Des enfants devant le sapin de Noël installé depuis
déjà 3 semaines, et moi en dessous
J'ai 21 frères et sœurs ici. Il y en a un de 42 ans, c'est un autre volontaire avec qui je partage le grenier, et 20 enfants ayant entre 6 et 12 ans. Ils portent parfois des surnoms marrants et leur vrai prénom a souvent subi le coup classique de l'approximation orthographique de prénom américain. Parmi ces 20 garçons et filles, on retrouve 3 « specials », des enfants ayant des besoins particuliers en raison de handicap mental ou trouble relationnel. En général, les autres enfants se foutent de leur gueule mais j'ai la naïve impression que c'est pas le cas à Masaya.


J'ai de nouveaux parents, Nanay Stella et Tatay Jess, mais aussi des tantes de substitution, les Titas Carlita, Alma, Tess et May-Ann qui elle est la social worker de la maison. Ils se débrouillent pour alterner et retrouver chacun leur tour leur propre foyer.

Si le coq domestique me réveille à 4h, je fais pas partie de la moitié des enfants qui doivent se lever pour aller à l'école à 5h. Parce qu'ici on a cours soit le matin, de 5 à 11h, soit l'aprem, de 12 à 18h. Je me paye donc le luxe de me lever à 6h30, pile à temps pour la deuxième fournée de petits déjeuners.

En parlant de luxe, j'entame donc chaque journée à grands coups de sardine-riz, corned beef-riz, ou encore foie de poulet-riz les jours de chance. Mon boulot et mon statut temporaire me permettent d'éviter toutes les tâches ménagères qu'assument les enfants à tour de rôle : balayage, cirage du sol avec une demi noix de coco, lessive...

Quelques photos de minus en cours

Après le déjeuner vers 11h, ceux qui étaient à l'école le matin font la sieste. Et moi je retourne dans ma salle de classe, désespéré de savoir que la première fournée d'enfants tout juste sortie de leur sieste aura inévitablement la tête dans le cul. Mais en ce moment j'ai de la chance : les enfants ont des exams donc je les aide à réviser directement dans les maisons. Si je m'organise bien, je peux m'empiffrer 3 déjeuners et autant de goûters dans plusieurs maisons différentes. J'ai mis longtemps avant d'appliquer la règle qui permet ce subterfuge : ne jamais dire non par politesse, parce que justement ici c'est pas poli.

Ma boss et moi à une sorte de réunion parents-profs,
et je peux vous dire que j'étais pas du côté des parents

Puis je fais ma prière tous les soirs. À 18h, je sors de Magellan en me pressant vers Masaya, juste à temps pour le Bilog. C'est une réunion où nous sommes tous assis en tailleur en formant un cercle. Des prières sont chantées en tagalog, puis viennent des explications, informations ou encore remontages de bretelles de la part des parents. Après son engueulade familiale, le petit Jeremie y réfléchira à deux fois lorsqu'il voudra faire l'école buissonnière pour dessiner un Angry Bird sur le capot d'une Sibikonda.

Une Sibikonda, c'est une Civic Honda. Il m'a pas fallu longtemps pour traduire puisque j'ai aussi fini par choper l'accent philippin. En plus du tagalog, rouler les R et transformer les V en B et les F en P permet aux enfants de me comprendre plus facilement pendant les cours. Devinette : TRee times PiBe ? PiPteen.

Après le Bilog vient le repas. Encore une fois, les enfants mettent la table, la débarrassent, font la vaisselle et apprennent progressivement l'autonomie. Puisque le degré de responsabilité varie selon l'âge, il y a une grande perdante : la seule grande qui a école l'aprem et qui se tape la vaisselle de 25 goinfres tous les soirs. Pendant ce temps, mon coloc et moi partons faire un petit tour dans le quartier pour retarder l'heure du coucher.

Fin de repas à la table des garçons


C'est généralement en regagnant la chambre que l'immense rat vient me rappeler qu'il remplace ici les souris de la maison de volontaire. Et à 19h30, je suis déjà dans mon lit, prêt à récupérer des interminables sessions de jeu où les enfants m'exploitent pour défouler leur hyperactivité.


Dans 3 semaines, et au terme de cette immersion géniale, ma mission à Virlanie prend fin et mon rôle auprès de tous les minus avec. Pour ne pas trop y penser, je pars exhiber mon maillot slip à Palawan en compagnie d'un joyeux luron.

mardi 27 septembre 2011

Ce non-article ne parle ni de voyage, ni du Cambodge, ni des Philippines

Je n'avais pas d'appareil photo lors de mon voyage au Cambodge. Ça tombe bien, je ne compte pas faire d'article type carnet de voyage.
« Je me rends donc au bureau de change à la sortie du hall de l'aéroport. Je croise un chien énorme, vraiment très gros. Et là paf ! je change mon fric et il s'avère qu'un seul dollar équivaut à 4000 balles locales. Ahurissant non ? »
Et un séjour si court ne m'a pas non plus donné la prétention d'avoir saisi la vraie nature des choses que j'ai rencontrées.
« Il y avait des temples partout, c'était à vomir. Camoufler le culte de la personnalité derrière la religion… Un dictateur sacrément rusé ce Bouddha ».
Mes observations m'ont toutefois permis de réfléchir un peu sur les Philippines. Mais ce ne sera pas non plus une creuse comparaison par négatif.
« Et là, j'étais dans un autre putain d'univers. Vu la rudesse du ton du vendeur de la boutique de souvenirs de l'aéroport, j'étais carrément loin de l'omniprésent sourire Pinoy ».
Hypocrite et rusé, je vais simplement faire semblant de ne pas raconter mon voyage.

Contraste Manilliste

Sunrise Street, ma rue à Manille, est à l'image des Philippines : les bidons villes jouxtent des villas atrocement luxueuses. De ma fenêtre, on peut difficilement ignorer les cubes de tôle trouée adossés au mur surprotégé du palace voisin. Les écarts de richesse apparaissent de façon moins obscène au Cambodge. Et bien qu'ayant eu la croissance la plus forte en Asie du Sud-Est dans les années 2000 (comme si la croissance devait signifier quelque chose), il ne se gène pas pour transpirer la pauvreté. Les prix ont l'air plus bas, donc les revenus aussi. C'est un exemple qui n'exprime pas grand chose, mais les 3 euros variables quotidiens de Marlon, conducteur de tricycle de 6 à 18h dans ma rue et alcoolique à temps plein, restent loin devant les tristes 40 euros mensuels mais stables du bavard conducteur de touk-touk m'ayant tenu compagnie en attendant le bus à Phnom Penh. Il m'a d'ailleurs donné l'occasion d'apprendre les détails de l'institutionnalisation de la tarification dermato-catégorisée. Ça va loin puisque la différence entre les clients Khmers et les étrangers est même à la source de l'organisation des conducteurs de touk-touks, de leur affectation, leur nombre et leurs horaires.



On retrouve le grand classique du « Filipino Time » (NDLR : le « Filipino Time » est une imposture visant à faire passer le retard horaire pour un trésor culturel). Et la familiarité que l'on retrouve dans les transports en commun se voit même transcendée une fois monté dans le bus. Les karaokés s’enchaînent en formant des comédies-musicales interminables. Et les légendaires films de baston niakwés se retrouvent magiquement agrémentés d'un doublage cambodgien monotone enregistré sur une bande son quasi-vierge. On passe alors du statut de victime d'humus cinématographique à celui d'anthropo-spectateur euphorique des téléspectateurs hilares.


Sur la route, on s'étonne d'une pub pour des capotes puisque l'on est en provenance d'un pays sur-reproductif interdisant l'avortement, le divorce et s'opposant massivement à la démocratisation contraceptive. Mais la densité qui saute alors aux yeux dans la campagne marécageuse cambodgienne, elle est culturelle. Les temples ne se comptent plus et leur beauté devient habituelle. Et finir par visiter Angkor rassasie cette soif d'identité propre et dépaysante qui constitue la quête de tout bon faux-vagabond. (Cette quête, on lui urine à moitié dessus un peu plus bas). C'est là que les Philippines ont l'air toutes nues. Leur histoire est extrêmement riche, mais leur identité est complexe. Originellement non-unifiée culturellement, la nation de l'archipel s'est construite sous 3 siècles de colonisation castratro-espagnole, puis 40 ans de colonisation développo-américaine. Et à Manille, ancienne « Perle de l'Orient » et carrefour économique du Royaume d'Espagne, les vestiges historiques pour en témoigner s'en sont pris plein la gueule : les niakwés sont passés par là, en faisant la ville la plus ravagée de la seconde guerre mondiale après Varsovie.

Moi à Angkor 

Et après tout, pourquoi s'obséder à l'exotisme passé ? C'est un facteur d'explication mais la recherche d'authenticité exotique biaise les observations et la compréhension actuelles. Ce qu'il faut saisir, c'est l'Ainsité, la vraie nature des choses. Les Philippins, c'est pas des types qui portent des slips en peau de buffle pour pêcher à mains nues. Les références et modèles culturels se sont dés-exotisés, ce qui frustre le faux-vagabond. Car comprendre les Philippines, c'est aussi observer l'adoration des malls, de la consommation, des vies et loisirs occidentaux apportés officiellement par les USA avant la WWII, et officieusement après. Des vestiges traditionnels, trous d'oxygène identito-culturels subsistent parfois. Géographiquement, les zones reculées donnent cette impression. Mais même au fond du plus perdu village flottant traversé en barque dans la mangrove cambodgienne, les antennes télés prolongaient les pilotis. Et qualitativement, certaines valeurs ne s'altèrent pas. Chez les Philippins, les superstitions persistent, les amenant à croire en Dieu autant qu'en Casper. Et on retrouve aussi par exemple le foyer pluri-générationnel qui échappe encore à notre modèle de famille nucléaire.

Moi dans un village flottant

La saison des pluie, elle, reste sacrément visible. Et le Déluge qui s'est abattu sur le Cambodge a fait passer les terribles inondations de Manille pour de la pleuviote de gonzesse. (NDLR : après l'angoissant typhon d'hier, je retire un peu ce que je viens de dire). On le comprend assez vite lorsque l'on abandonne le touk-touk en panne dans une rue-torrent et que l'on se presse vers l’hôtel dans une eau couleur brique qui avale suspicieusement nos jambes. Le résultat est le même, l'eau fait craquer des maisons mais marrer les enfants. Elle angoisse par contre le faux-vagabond qui ne veut pas rater son avion et qui se retrouve à traverser à l'aube la ville fantômatico-engloutie sur une motocross dont la selle peinait à sortir de l'eau.

Moi  à moto

En ce qui concerne le légendaire sourire philippin (qui peut toutefois exprimer la bienveillance et la gratitude tout comme la gêne et l'incompréhension), j'ai facilement trouvé ses homologues cambodgien et malaisien. Devant l'omniprésence de ce caractère chaleureux, je me suis remis en question : et si finalement, j'avais pas, moi-même, une part de responsabilité ? J'en arrive donc à cette conclusion : chaque pays me confirme que je suis un type sacrément chouette. Tout le monde m'appelle « my friend » et me propose des « special discounts just for you ». Oui, parce que les négociations gardent leur caractère permanent, et s'y habituer les rend sympatochement endiablées. J'ai donc entamé mon budget cadeaux dans les infinis marchés de Kuala Lumpur. Et les perles s’enchaînaient dans ces ersatz de Divisoria jetés autour de Chinatown, au cœur d'une capitale bien plus homogène et bien moins crade que Manille.



Bref, camoufler des récits et observations de voyage s'est avéré plus dur que ce que je pensais et j'ai ultra la flemme de retravailler cet article. J'en referai sans doute un sur les Philippines quand je m'en irai, dans deux mois. (ouais, ça passe vite en fait) (et dans 2 semaines j'aurai déjà fini la fac) (et d'ailleurs, au second semestre je vais plus à Singapour pour étudier mais à Shanghai pour me faire exploiter, The Didiest a encore de belles heures devant lui).

jeudi 8 septembre 2011

Article scientifiquement jugé 3% Ange et 97% Démon



Cet article est à gerber. Si je l'avais lu en arrivant aux Philippines, j'aurais probablement traité son auteur de Foutu Prince en le gratifiant d’un brave commentaire anonyme.

Avant de voir comment cet article est immonde, voyons pourquoi est-ce qu'il parait ainsi. Pour ce faire, il suffit de noter que l'image qu'on se fait des Philippines, du moins celle qui m'est apparue avant de venir et même pendant, c'est celle des vagabonds stylés. Je parle pas du paradis des guides touristiques, je parle du paradis de l'instrumentalisation et de la fabrication de soi et de ses expériences dès que celles-ci trouvent un interlocuteur et doivent passer par le prisme de la narration. En gros, je parle des images facebook, des récits candides, et de toute autre construction ciblée qui peint une vie peace et intégrée dans un pays pauvre mais heureux (et si l'on peut à tort considérer ça comme une critique, alors elle ne m'est pas étrangère et je suis content de faire harakiri dans mon slip).

Objection générale
En dépit de choses infectes qui vont suivre, je dois préciser qu'au fond, il est possible d'avoir une vie presque-peace et presque-intégrée malgré tout. Mais ça on s'en fout parce que tous les autres articles de ce blog le laisseront probablement présager.


Alors pourquoi est-il mauvais de décider de ne refléter que l'image qui contribuera de faire de vous un type stylé super peinard dans un pays-qui-a-rien-à-voir ? (c'est une non-question)
Pourquoi, plutôt, est-ce que la réalité serait déconnectée de cette image étalo-stylez ?

Et bien parce que la réalité est aussi hostile. Et le faux vagabond que je suis sied à son environnement avec autant de pertinence qu’Arthur, Timsit ou Boujenah dans le costume de comique.


Voyages de rêve et aisance physique

Laissez-moi vous raconter notre expérience à Mamutik, mini-île au large de Kota Kinabalu en Malaisie. Lors d’un très court voyage prétexté par des questions de visa, nous nous sommes retrouvés sur une plage de sable blanc baignée dans une eau turquoise. Une fois la nuit tombée, un feu de camp animait notre soirée sympax sur cette île désertée par les innombrables touristes venus faire dorer leur calvitie durant la journée. Mais les touristes comme les taxi-drivers arnaquo-malicieux n’ont pas la force de frappe de Mère Nature.
Et celle-ci impulsa mon angoisse qui suivit la soirée : la nuit intoxicationo-vomiste qui amorça mes déboires, ou encore cette image très précise d’un sachet plastique percé ballotant sur la portière du taxi, rempli d’une bile fluo qui s'en allait flotter jusqu'au pare-brise de la voiture de derrière.
Bref, ici, il n’y a pas que la bataille typhons/chaleur qui remet les idées du vagabond stylé à sa place. Et à Manille, outre les repas bon marché qui se paient cher sur la cuvette (désolé, la turista est taboue mais pourquoi lutter et mentir devant Mère Nature ?), il y a eu par exemple  5 volontaires de mon ONG qui ont chopé la dengue en 1 mois, ce qui est beaucoup.

Camping paradisiaque à Mamutik
Réveil paradisiaque de l'ami Thierry



















Objection 
Les voyages ne sont pas tous agrémentés de ces déboires rappelant aux vagabonds stylés leur statut de simple-mortel, et ils sont surtout propices à mener une belle vie de découvertes, dépaysement, plongée et autres balades en moto. Et constructo-hypocrite ou pas, cela constitue l’essentiel de ce que l’on en retient, parce que c’est l’essentiel que ça nous apporte.



Ne parlons plus du statut de blanc ou des pièges harcélo-sexuel dont nous sommes victimes. Et voyons pourquoi l’intégration ici, du moins en ce qui me concerne ainsi que mes amis volontaires, connait des barrières moches. Elle est déjà à la base conditionnée par le sus-dit statut de blanc : tous les passants dans la rue ne sont pas interpellés, accueillis ou invités avec la même spontanéité que nous. Et en plus de ce biaisement originel, les rapports humains se compliquent rapidement par d’autres facteurs hostiles au partage simple : la langue, la relation à l’argent, le culte philippino-humble de la non-franchise, ou plus universellement notre situation de type-de-passage.

Objection 
J’ai tout de même des rapports sympas et dénués d'intéressement avec les convivio-alcooliques conducteurs  de tricycle de ma rue, des collègues de Virlanie ou encore des Philippins coolôs de la fac. Et mes semi-colocataires français près d’Ateneo ont concrètement de super relations avec la rare middle-class alternative (comprendre éduquée mais non-obsédée à la réussite financière) de leur petit quartier grouillant de belles personnes engagées.


Vie peinarde sous les tropiques

Ouais bon je dois dire pourquoi cet article est immonde et noir. Je suis en ce moment en slip, seul, dépouillé, séquestré et plongé dans un huis-clos dynamico-négatif gerbant. Je me suis fait cambrioler dans la nuit, et les voleurs probablement dirty-upper-lipés ont refermé le cadenas de la maison après s’être saisi de mon ordinateur adoré qui reposait à 50cm de mon corps de grotesque blanc ensommeillé semi-nu. Bref, les vols lâches à l’arraché ou les cambriolages ne sont pas supra propices à l’installation d’une confiance sereine. D’autant plus que dans les cas impliquant des volontaires (ceux dans lesquels je baigne), les victimes sont pris pour des ducons malgré leurs meilleures intentions et la raison de leur présence ici.

Objection 
Bon déjà connard, les vols c'est pareil partout, dans tous les coins du monde où coexistent pauvreté, richesse et convoitise (encore un coup de Mère Nature).

Contre-objection 
Mais ici l’implication de ce fait-à-accepter est dégueulasse. La sécurité devient une affaire privée : ceux qui ont quelque chose à protéger, étrangers comme riches Philippins, se parquent dans des quartiers gardés, ne prennent pas les transports en commun et se rencontrent dans des lieux semi-surveillés par des gardes privés encapotés dans un uniforme kitsch à l’extrême... Le problème ne disparait pas, on s'en protège simplement tant bien que mal. Alors quel intérêt de vivre dans pays si c’est pour s’en couper ?

Contre-contre-objection 
Il serait absurde et idiot d’établir un lien entre les gens malveillants et les bénéficiaires des actions humanitaires des cibles potentielles des enfoirés. Il n’y a donc pas véritablement coupure, mais simplement à miser sur deux tableaux différents.



Pour revenir a posteriori sur tout ça et sur l’objection générale du début de l’article, je me sens bien ici. Et l’impression d’être limité qui s’impose à moi ne remet aucunement en cause les apports que je trouve ici ni la vie que j’y mène. Bref, les photos et récits candides ne sont finalement peut-être pas déconnectés, mais habilement partiels.

mercredi 17 août 2011

Avez-vous déjà vu des enfants des rues ?

C'est pas fastoche de parler des enfants des rues. C'est un phénomène qui n'apparait pas de façon simple et homogène. Et il m'est d'autant plus difficile de le décrire tant les expériences et les rapports que j'ai été amené à avoir avec eux sont différents. C'est donc par le biais de plusieurs angles de vue candides et mignons que je vais essayer d'en parler, puisque j'assume à la fois les fonctions de simple habitant de Manille et de touriste dans des quartiers populaires, ce qui peut vous paraître exceptionnel. Ajoutons aussi mon statut de volontaire parfois itinérant et c'est parti mon kiki.


Au premier abord, les enfants des rues c'est des minus plutôt crades qui mendient dans la rue. Ils sont souvent pieds-nus, avec des maladies de peau visibles, et ils insistent particulièrement sur les blancs comme moi. Certains philanthropes/idiots donnent de l'argent, d'autres n'accordent qu'un sourire navré, et le plus souvent, les passants feignent l'ignorance et passent leur chemin. Notons tout de même qu'il est difficile de jouer l'indifférence lorsque, entre deux bouchées d'un délicieux Quarter Pounder, un enfant plaque son zgeg contre la vitre du McDo. Mais comment exiger de la pudeur de ceux qui vivent là, sur le trottoir ? Après tout, ils sont chez eux. Alors dans les coins où vivent des enfants des rues, les passants deviennent des colocataires, témoins de leur toilette, de leurs envies pressantes ou de leur sommeil. Et parfois c'est une méga-coloc-qui-part-en-burne, et c'est des familles entières que l'on retrouve sur des bouts de cartons.



Poussons ces ressentis un tantinet et voyageons de mon quartier jusqu'à Divisoria. C'est un coin de Manille très connu. On y trouve des milliards de minuscules boutiques, chaotiquement installées dans la rue ou regroupées dans d'immenses malls touffus. C'est un peu comme le paradis des chineurs, sauf que les occasions en or sont planquées dans une foule, une chaleur et une odeur infâmes. En tant que touriste, si on se retrousse un peu les manches, c'est très coolôs.
En tant que volontaire, même si on se retrousse les manches, c'est pas supra coolôs. J'y suis allé un samedi après-midi avec la Mobile-Unit. C'est un programme de Virlanie qui se déplace dans des coins très pauvres pour y dispenser des cours en même temps que des premiers soins médicaux, des suivis psychologiques et des distributions de nourriture. A la tête du programme, et aux côtés de 5 philippins, on trouve Marie. Cette grosse incruste est une prof française arrivée il y a 12 ans pour une mission qui n'aurait du durer qu'un an.

A peine arrivés là-bas, Marie et moi nous sommes baladés pour récupérer les enfants susceptibles de participer à nos activités. Rien de bien zinzin : je connaissais les rues qu'on empruntait. Mais je reconnaissais pas grand chose. Ni les gens parfois nus qui dormaient sur la place centrale, ni les dizaines d'enfants disséminés sur les trottoirs. Tous étaient ravis de retrouver Ate Marie (« Ate » est l'équivalent féminin de « Kuya », c'est une expression commune qui signifie littéralement « grande soeur »). Et c'est bourrés de respect qu'ils nous saluaient avec le traditionnel Mano Po, en portant notre main à leur front. A moitié en chiant dans mon froc, j'ai vu des lascars d'une vingtaine d'années s'approcher de Marie pour la saluer de la même façon, avec la même bienveillance depuis qu'ils sont petits.
Certains des enfants de ces familles vont tout de même à l'école (pour de vrai) mais le samedi il n'y a pas école : on s'est donc retrouvés avec une soixantaine d'enfants surexcités, agrippés à chacun de nos membres comme des morpions.

Et vint le chaos. 
D'abord par quelques exercices physiques, témoins malins de leur forme physique parfois diminuée par les maladies, les coups ou les solvants. Puis par les activités proposées à chaque groupe : lecture, anglais, maths. Et j'avais pas autant souffert avec des tables de multiplication depuis le CE1. Ils sont intenables, aux niveaux scolaires aussi incernables qu'éclatés, et mes maigres connaissances en Tagalog me donnaient la crédibilité d'un glaviot. Mais au-delà du semi-échec du prof de maths qui naît en moi, le constat ressemble à un phrase-clé optimiste d'un reportage M6, genre « Entre Paradis et Enfer, Laurent Delahousse est allé à la rencontre de ces corps négligés qui renferment un respect et un plaisir d'apprendre tout à fait exceptionnels ». Bien sûr, je n'ai vu que ceux qui sont venus. Donc je n'ai vu qu'une portion d'enfants des rues en relative bonne santé et désireuse de participer à des cours un samedi aprem. Mais bon. J'ai fini par jouer avec eux après un gros repas chaud, ravi de distribuer discreto-cruellement un million de tapes sur l'épaule opposée des plus naïfs déconneurs.



Non-suivis par des ONG dans leur famille, d'autres réussissent la prouesse d'avoir un peu moins de bol. C'est le cas de ceux qui se trouvent au RAC (Reception Action Center). C'est un endroit administré par la ville de Manille, un peu planqué en son cœur. On y place des gens ramassés dans la rue. Des relous qui rendent les trottoirs désagréables : des enfants, des familles ou encore des handicapés mentaux. Ils y sont enfermés temporairement, avec pour seul motif leur situation de sans-abri-du-tout. 

Activité au RAC
J'y suis allé un matin. Une activité encadrée par des volontaires de Virlanie se déroulait calmement dans une partie de la cour. De l'autre côté, il y avait les familles qui laissaient passer le temps, entassées sur des planches-de-bois/lits-superposés. Elles seront discrètement renvoyées très loin de Manille, et y reviendront si elles n'ont pas l'opportunité ni l'humilité de revenir décemment dans leur Province originaire.
Photo interdite trouvée sur le net
Les enfants dorment à l'étage du bâtiment principal. Juste au dessus des bureaux des employés apparemment peu préoccupés par leur sort. Ils étaient ravis de nous voir arriver et voyaient en Dominique, le président-fondateur de Virlanie, une potentielle porte de sortie sympatoche dont ils entendent souvent parler. Sur le coup, j'étais surpris par leur bonne humeur. Le reste m'a rattrapé une fois parti : eux n'en sont pas partis justement, ils dormiront tous à même le sol, entre quatre murs glauques et imbibés de pisse. Et alors qu'ils se réveilleront peut-être avec de nouveaux bleus, je me ferai un gros bol de Cookie Crisps.


En ce qui concerne le sort de ces enfants, c'est moins évident. S'ils ont toujours une famille, ailleurs dans Manille ou dans une autre Province, on essaie de les y renvoyer. Ils n'auront pas réussi à fuir leur foyer, ni à faire fortune dans la capitale pour y renvoyer de l'argent. Si c'est impossible des les réunifier, parce que leur famille ne peut/veut pas les assumer ou qu'ils n'en ont plus, ils sont un peu dans la merde. Beaucoup s'enfuient du RAC et finissent par en devenir des habitués. Certains vont en prison pour des délits parfois ridicules. D'autres finissent à Boystown, une mini-ville-orphelinat du Nord de Manille qui les accueille jusqu'à ce qu'ils s'en échappent ou deviennent adultes.

Enfin, une poignée des enfants du RAC arrive à Virlanie. Tous les minus de la Fondation ont donc plus ou moins traversé les stades cités ci-dessus. C'est censé être une situation transitoire pour les plus vulnérables, un lieu d'accueil un peu plus clean le temps qu'ils soient réunifiés avec leur famille. Mais parfois le temporaire dure : sans retour au foyer familial ni adoption possibles, ils finissent par grandir dans des maisons de Virlanie. Les handicapés y resteront probablement toute leur vie. Ce n'était donc pas le but initial, mais ces enfants se retrouvent par petites vingtaines dans des foyers présentant une structure familiale : papa, maman et tantes de substitution. Si leur situation se stabilise ici, ils vont à l'école et ont d'autres activités artistiques, sportives ou de soutien scolaire. Je suis le connard avec qui ils font des maths après l'école mais aussi le type sympax qui s'incruste parfois avec eux le week-end. Car les volontaires motivés peuvent montrer des films sur rétroprojecteur, les accompagner au foot, ou en amener certains à des sorties. Et inutile de dire que je le fais uniquement parce que j'en profite au moins autant qu'eux.



Marrade à Splash Island
                            
Fiesta au zoo

mercredi 20 juillet 2011

Ateneo, entre prestige et poil pubien

Chaque mercredi, je quitte Makati City pour Quezon City. Le trajet est délicieusement interminable : il me faut parfois 2h de jeep et de métro avant de franchir les portes gardées d'Ateneo. L'organisation du campus et de la vie qui s'y installe se voudraient à l'Américaine. Ça grouille de traditions et de règles implicites dont on est étrangers. Au point que les groupes de bancs disséminés dans le campus correspondent à différentes catégories d'étudiants : les clichés hype, les clichés geeks, les clichés homos... C'est bourré d'associations sportives, académiques, humanitaires ou artistiques. La rentrée est donc suivie d'une période de recrutement prise très au sérieux, à grands coups d'entretiens et d'épreuves physiques. Les candidats peuvent vivre de grands moments de solitude ou d'humiliation, notamment au moment où ils sont réduits à devoir raconter une blague et ne rencontrent que le silence gênant d'un péteux à appareil dentaire (oui, plein d'Ateneans en sont fièrement équipés).

On nous annonce fièrement qu'ADMU est 35e au classement des meilleures English-teaching universities in the world. Mouais. Dans tous les cas, aux Philippines, Ateneo c'est très prestigious. Le Président Noynoy Aquino en sort. Le héros national José Rizal dont le portrait est reproduit sur tous les murs de la ville en est sorti. Et on y trouve une belle partie des rejetons des successmen philippins d'aujourd'hui. Normal, hein : c'est safe (sur-emploi philippino-classique de gardes privés) et clean (les belles routes du campus permettent de se faire déposer par son chauffeur devant sa salle de cours). Et c'est religieux. 90% des Philippins sont Chrétiens, 80% Catholiques. L'ambiance fanato-jésuite est partout ici : de l'immense église architecto-stylée aux chapelles, en passant par les prières collectives en début de cours.

Point sport : ici, les sportifs-écoliers sont des superstars, et le gymnase où ils jouent rendrait grotesque n'importe quelle infrastructure professionnelle française. Les matchs de basket entre universités font la une du journal national (ben ouais, il est conçu et lu par d'anciens étudiants à l'identité faculto-centrée). 



Là-dedans, je suis un Exchange Student. Un parmi une soixantaine : quelques Japonais, Chinois, Américains... et trente Français. Les étudiants internationaux sont arrivés ensemble, se sont installés ensemble, voyagent et font la fête ensemble. L'atmosphère était immédiatement coolôs, d'autant plus que nos responsables administratifs ont notre âge et nous côtoient. C'est la veine pour eux, leur boulot est facilité et ils peuvent draguer en soirée. De notre côté, ça n'a rien changé aux procédures administrativo-ignobles qui ont nécessité une quantité incalculable de transpiration pour récolter d'insignifiantes signatures. Un soir par semaine n'est pas assez pour intégrer leur Atenean universe, mais ça me va très bien. Je tire un trait sur les sorties richardo-luxurious, mais je me délecte allègrement des douceurs culinaires du campus, des mango shakes aux belgian chocolate waffles.


Chez les 30 Français, on trouve 8 SciencesPistes. Et chez les 8 SciencesPistes, on trouve Charles, Lauranne et Noémie. Et chez Charles, Lauranne et Noémie, on me trouve moi. Incruste audacieux, je viens même d'y apporter un matelas pour soulager le pauvre carrelage de mon dos musclé. Je paye mon loyer en apéro, heureux d'éviter un aller-retour-de-l'angoisse supplémentaire.



Côté cours, c'est un peu le chantier. Commençons par le plus remarquable des 4 que j'ai sélectionnés en début d'année : kitch, avec fort taux d'appareils dentaires et un faible taux d'intéressement dégagé par la voix nasillardo-taglish de mon prof. Au premier cours, il s'était peut-être levé du pied gauche de son container à hélium mais il a écrit « PHILLIPINE BUSINESS » avant de démontrer mon erreur d'orientation : le niveau est bas, les sujets inintéressants, et les tests pour vérifier les interminables lectures consistent en un infâme recrachage. J'ai intelligemment et lâchement abandonné. Sur mes deux cours en Development Studies, l'un étudie l'évolution de la discipline d'étude du Développement. Ouais. On brasse de l'air, mais j'ai eu deux ans d'entrainement (et je peux pas me permettre de lâcher un cours de plus). L'autre est concret : pendant tout le semestre, on doit aider une entreprise sociale. J'ai orienté mon groupe vers l'Income Generating Program de Virlanie et hop! on va essayer d'améliorer l'activité de recyclage de sacs à farine en sac à main par des communautés de gens des rues. Ça serait mon cours préféré mais en fait c'est pas un vrai cours. Et surtout, rien ne peut concurrencer mon cours de dessin, douce bouffée d'oxygène dans ce monde de cinglés.

Voilà, mon semestre à Ateneo a l'air d'avoir la même valeur académique qu'un poil pubien.  

lundi 18 juillet 2011

« Être blanc comme un cachet d'aspirine / comme un linge / comme un cul / comme une merde de laitier »


Ces derniers jours, plusieurs évènements m'ont fait penser la condition de blanc aux Philippines sous des angles très différents :
  • jeudi : soirée-nouba du 14 juillet au Sofitel
  • vendredi : matinée-nouba de l'anniversaire de Virlanie
  • samedi-dimanche : week-end sur l'île de Marinduque
Ajoutons à cela le quotidien qui est le mien depuis presque un mois et demi, et une amusante anecdote d'angoisse harcelo-sexuelle. L'analyse qui suit n'est ni exclusive ni exhaustive, c'est juste la façon dont je vois la question de l'impact de la couleur de ma peau dans ma nouvelle vie de Pinoy


Poctoy, Marinduque

« Hey Joe! »
Cette façon à la fois lourde et courtoise d'interpeller les blancs indique deux choses : les blancs se font interpeller, et/car les blancs sont tous américains. Chaque trajet dans mon quartier est ponctué d'une multitude de microscopiques interrogatoires à la volée : on veut savoir mon nom, mon statut marital, de quel pays je viens. On s'y fait assez vite, et lorsqu'on se prend au jeu, on oublie pas de les décevoir en précisant que la France est en Europe, et pas aux USA. Sinon, la réponse importe peu, c'est juste histoire d'adresser la parole, et souvent avec bienveillance. C'est vrai pour les enfants, les ados, les vieux... et c'est même marqué d'une délicieuse maladresse/lourdeur chez les individus de sexe féminin. Je vous raconte pas le nombre de gonzesses qui me disent bonjour, à croire que je suis une sacrée bomba sensuelo... Bon, en fait je suis surtout blanc (et potentiellement américain). Et c'est un critère de beauté au point que leurs savons et produits de beauté sont blanchissants, ou encore que les pubs philippines montrent principalement des mannequins métisses plus-blancs-que-la-moyenne.

C'est donc dans cette atmosphère d'aisance esthétique que je me trouvais peinard dans le métro vendredi soir. Enfin pas exactement, le métro était atrocement blindé et pour y arriver je venais d'explorer l'ampleur des problèmes de transport qui font de Manille un véritable Enfer (au même titre que la LMDE à Paris, et je pèse mes mots). Bref, en sortant du métro, un jeune propose de m'aider à choper un taxi, en échange d'une petite discussion qui l'aiderait à mener à terme la thèse qu'il passe dans une université de richards. Mais cette impression de mec safe s'est dégradée au rythme de son audace dans la conversation, et de sa contre-productivité dans la recherche d'un taxi. C'était une angoisse graduelle : d'abord lorsqu'il était tactile et nous éloignait des coins à taxi, puis lorsqu'il m'a demandé si j'étais circoncis (ouais, là j'aurais peut-être du me méfier), et enfin lorsqu'il m'a proposé avec assurance « can I touch yours? ». Je l'ai vite dégagé en essayant d'oublier cette goutte de vomi qui pendait au bout de ma luette. Et a posteriori, après avoir échangé avec des collègues philippins, je me dis qu'il faudra peut-être que je m'habitue à tremper ma luette : il est beaucoup plus fréquent d'être confronté à cette audace déviante ici. Miam miam.

Mais ne nous leurrons pas, les considérations ne sont pas purement physiques. Elles sont aussi bancaires : ici, le blanc est un richardôs. Et de l'intérieur, célébrer notre fête nationale en fut une sacrée illustration.
Organisée au supra prestigious Hotel Sofitel de Manille, la soirée a été refusée aux étudiants français en échange. C'était quand même plus agréable de se goinfrer de petits fours au milieu de costards et de calvities dissimulées. Sans parler des défilés, performances et furious feux d'artifice. Finalement, on n'était pas forcément plus à l'aise dans ce cadre là. On s'est donc contentés de s'empiffrer et de rentrer dans notre bonne vieille maison de volontaires. Mais si le blanc n'est pas tout le temps très riche, on peut dire qu'ici, c'est un veinard. Le coût de la vie est ridicule, et se faire plaisir est à portée de slip : le soir au diner, comme le week-end en voyage.



C'était donc plein de veine que j'ai quitté mon ami pervers du métro : j'allais prendre un bus puis un bateau direction Marinduque, une petite île au Sud de Luzon. On a fini sur la plage de sable blanc de Poctoy et on a profité comme des connards. Puisque le voyage était presque plus long que le séjour-dorure-de-pilule à proprement parler, on a enchaîné les moyens de transports et les improvisations sur place. Et ici, le blanc est un con. Chaque indication de prix était précédée d'une flagrante réflexion et chaque paiement était précédé de grosses négociations.
« - Hmmm … Six hundred.     - Beuh. »
De quoi contredire les beaux encouragements d'autres volontaires à sortir des sentiers battus pour éviter les arnaques touristo-ciblées. J'ai bien l'impression d'être pris pour une burne où que je sois. De n'être perçu et traité qu'en fonction de ma condition physique de riche-Américain-futur-PDG-à-calvitie.

Sauf à Virlanie (ou à la fac, un peu). Là où on trouve d'autres blancs, et où la façon dont on les perçoit ne dépend pas uniquement de leur faciès. On peut donc même être considérés comme une ressource, un élément avec lequel la coexistence est envisageable voir appréciée. A l'ONG, le blanc est surtout un volontaire : un animateur, un prof, un jeune plutôt cool qui travaille pour faire tourner la Fondation. Auprès des enfants, du staff philippin ou des gens du quartier, les efforts pour avoir des relations dépassant le stade-facial ne sont pas vains. Apprendre un peu de Taglish est même indispensable en cours de maths (même si je dis toujours les mêmes phrases) (et qu'ils comprennent pas tout le temps). Et l'anniversaire de Virlanie était un exemple de cette acceptation : enfants, staff, volontaires... tous là, à se rencontrer, à présenter des shows ridicules, et reconnaître le boulot des autres. Moi j'ai performé sur du Rihanna et c'était humiliant.



Voilà, il ne manque plus qu'à donner raison aux incitateurs des explorations un peu sauvages. Allons nous la couler douce en espérant rencontrer plus de Philippins-non-entourloupistes !